A la recherche d’un pantalon sauté, taille « S »

22 février 2014

A la recherche d’un pantalon sauté, taille « S »

voile-

 

Face à la ruée des jeunes européens candidats à la guerre sainte contre le régime de Bachar en Syrie, Hatouma, étudiante en journalisme décide de faire un papier sur le phénomène pour le compte du journal où elle passe un stage pratique. Elle se rend à Grigny dans l’Essonne où un fixeur, une connaissance d’une amie, se propose de l’aider à collecter des témoignages anonymes. Ce qui s’annonçait au départ comme un truc très simple se présentera, en fin de compte, beaucoup plus compliqué qu’elle ne le pensait.

L’actualité récente sur le retour très médiatisé de Turquie des deux jeunes de Toulouse, candidats malheureux au Jihad en a rajouté à la suspicion des premiers qui comptaient volontiers se confier. Se croyant désormais tous pistés par la police, ils suspectaient facilement tout le monde d’être des taupes à la solde de Place Beauvau*. Les premiers contacts sont pris avec Majid, 17 ans dont le frère Ahmed est un inconditionnel d’une mosquée aménagée dans une ancienne salle de gym dans la cité des Murreaux. Majid est un habitué de ce lieu de culte beaucoup plus par tradition familiale que par conviction personnelle. Comme poisson pilote, son profil est des plus intéressants.

Après plusieurs appels qui sonnaient dans le vide sans boite vocal sur un numéro de téléphone appartenant à Majid, Hatouma a dû laisser plusieurs messages sur ce qui lui semblait être le répondeur après le bip sonore sans retour.

Deux jours plus tard, minuit passé, alors qu’elle résiste à l’appel du sommeil, ses paupières très lourdes, elle s’efforce d’envoyer des messages à tous ses contacts sur les différents réseaux sociaux à la recherche d’une nouvelle piste, son téléphone sonne. Un numéro privé. En général, elle attend de savoir sur son répondeur le motif des appels venant de numéros masqués. Là, instinctivement, elle décroche.

Hatouma, c’est Majid, tu m’as laissé des messages sur mon répondeur. RDV demain 12h KFC Strasbourg Saint Denis, je serai à l’étage en Teddy rouge.

Il raccroche aussitôt. Le lendemain, Hatouma prend le soin de couvrir sa tête d’un voile et comme convenu, elle se rend au lieu prévu pour la rencontre. 4h d’attente, pas de Majid. A 17h, son téléphone sonne, encore un numéro masqué. C’est lui.

– Désolé, celui qui voulait te parler a désisté. Ils ont encore parlé à la télé d’une fille qui est partie en Syrie et ça lui a fait peur. Je te rappelle prochainement.

Il raccroche sans qu’elle ait eu le temps de placer un mot. Hatouma, bredouille, retourne sur ses pas. Dans son train pourtant bondé, elle se sent immensément seule. Elle s’en veut d’avoir choisi ce sujet qu’elle croyait pouvoir présenter sans difficulté majeure. Puis soudain, dans le tumulte de la voiture, une sonnerie de téléphone se fait persistante. C’est le sien. Elle le sort de son sac, décroche, c’est encore Majid qui lui demande de le rejoindre au plus vite à Corbeille Essonne. Un jeune de ce quartier voudrait bien répondre aux questions de la jeune journaliste.

panta sauté1h30 de métro et de RER plus tard, Elle retrouve Majid vers la sortie bus de la gare. Il est dans son Teddy rouge, mauve à vrai dire. Autour d’eux, un vacarme assourdissant de véhicules qui klaxonnent. Un embouteillage provoqué par un accident entre un camion citerne et une Twingo. Des lambeaux de polyesters détachés d’une des voitures et des éclats de pare-brises jonchent le macadam. Une flaque de sang coule de la petite voiture renversée, la violence du choc est indéniable. Hatouma, d’une petite toux, comme les majordomes savent le faire, ramène Majid à la réalité de leur rencontre. Ils s’éloignent d’une trentaine de mètres pendant que Majid pianote sur son téléphone puis…

– Allo, oui, Ibra, c’est nous ! On fait comment ?

Il reste à l’écoute une bonne minute avant de tendre le téléphone à Hatouma.

– C’est lui. Désolé, il ne veut plus te rencontrer physiquement. Il veut que ça se passe au téléphone. Tiens, vas y, il s’appelle Ibrahim ou Ibra !

Prise sur le vif, Hatouma sort précipitamment un stylo et un calepin de son sac. Fixant le téléphone entre son épaule et son oreille, elle s’éloigne de quelques pas derrière puis s’assoit sur une bouche d’incendie contigüe à une épicerie.

Le bruit autour se fait de plus en plus assourdissant. Entre les files de voitures qui avancent à pas de caméléon, le gyrophare d’une ambulance et celui d’un petit cylindré de la police balaient les façades tout autour. Les deux voitures essayent de se frayer tant bien que mal un chemin dans l’embouteillage pour la scène de l’accident. Leurs deux sirènes réunies abusent des décibels. Hatouma grimace. Elle ne saisit pas grand chose de ce que lui raconte son interlocuteur au bout du fil. Elle a des gestes d’impatience. Soudain, elle décroche le téléphone de son oreille, regarde autour d’elle un laps de temps. Un sourire se dessine sur son visage resté crispé depuis sa sortie de chez elle. Majid est à une bonne distance d’elle, totalement absorbé par la scène de l’accident.

Abandonnant son sac au pied du mur, elle s’éloigne sur la pointe des pieds et disparaît précipitamment à l’angle de la rue adjacente. Après un demi tour du bâtiment, Hatouma avance vers un Kebab et tombe sur un petit jeune, 16 ans à peine, accroché à son téléphone.

– Ibrahim… Ibra ! Je savais que tu n’étais pas loin. J’entendais les mêmes sirènes de ton téléphone. Moi c’est Hatouma !

– Allo, tu dis quoi ? Lui fit Ibrahim, la croyant toujours au téléphone.

– Non, je suis maintenant en face de toi, pas au téléphone, Salam Haleikoum, Ibrahim.

Ibrahim se retourne, très surpris et, comme un voleur pris la main dans le sac, cherche à improviser une réponse, mais n’y arrive pas. Il prend la fuite sans rien dire et disparaît entre les voitures. Constatant le contact rompu également au téléphone, Hatouma retourne sur ses pas et rejoint l’épicerie où elle se trouvait. Elle y trouve Majid devant son calepin et son stylo.

– T’étais passée où ? Lui fit-il.
Majid ne finit pas sa phrase que la sonnerie de son téléphone entre les mains de Hatouma retentit. Elle le lui tend aussitôt.
– Allo, oui, Ibra !
Hatouma a hâte que Majid finisse sa conversation pour connaître les motifs de la fuite de son ami. Tout d’un coup, ce dernier également prend ses jambes au coup et, comme Ibrahim, disparaît étrangement à l’autre angle de la rue.

Ces fuites soudaines la laissent perplexe. Elle ramasse son calepin et son stylo, les range dans son sac et retourne prendre son train. Elle essaye de se faire passer le film des événements pour comprendre ce sentiment de peur qu’elle a suscité auprès des deux jeunes. Plonger dans sa réflexion, une notification de SMS l’interpelle. Elle sort son téléphone.

« Nous savons que tu es une keuf, sinon tu n’aurais pas retrouvé Ibra, fin… »

Les yeux rivés sur l’écran tactile de son smartphone, Hatouma, déçue, lit et relit le message qui annonce la fin d’une investigation qui n’avait pas encore commencée. Soudain, elle constate que le numéro d’envoie du sms n’était pas répertorié dans ses contacts. Certainement celui de Ibra ! Le contact n’est donc pas définitivement interrompu. Une lueur d’espoir.

Comment regagner la confiance de ces pantalons sautés en herbe ?

A suivre…

 

@SoloNiare

 

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Place Beauvau* : Ministère de l’Intérieur

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