Souvenir d’une vaccination à l’ancienne

Article : Souvenir d’une vaccination à l’ancienne
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8 avril 2015

Souvenir d’une vaccination à l’ancienne

A l’époque, tout ce qui émanait de l’administration ou des instituteurs d’école était parole d’évangile. Le libre arbitre n’était pas si libre qu’aujourd’hui et s’effaçait devant les injonctions des pouvoirs politiques. Sur les ondes de la radio nationale, l’unique station de l’époque, le journaliste vedette en langue nationale distillait, entre deux plages de spots publicitaires dans lesquelles il épatait ses auditeurs, un appel pressant à tous les parents d’élève d’amener leur garnement pour la campagne de vaccination en cours.

Les habitants d'un village font la queue pour se faire vacciner dans une consultation en plein air. Côte d'Ivoire, 1970. (source : Organisation Mondiale de la Santé)
Les habitants d’un village font la queue pour se faire vacciner dans une consultation en plein air. Côte d’Ivoire, 1970. (source : Organisation Mondiale de la Santé)

La veille, effarouché par les récits des ainés qui étaient passés par la même épreuve, j’appréhendai déjà cet instant et passai une nuit entière sans retrouver le sommeil. C’est ce jour que je découvris que, en fait, le matin de bonne heure, le coq n’est pas le premier à chanter, mais plutôt la poule, dans un caquètement moins audible que le roi de la basse cour lorsqu’elle invite les poussins à picorer. Il n’y avait pas école, mais nous étions obligés d’y aller après le petit déjeuner comme tout le monde pour se faire injecter. C’était jour de vaccination.

Par centaines, nous nous suivions à la queue leu leu, attendant chacun son tour de passer devant l’infirmier en blouse blanche. Tenant en main une espèce de pistolet et son gros flacon de soluté, à chaque tir, l’agent de santé faisait mouche sur nos frêles muscles du bras avec la même et unique aiguille. Le rythme était si accéléré qu’en une demie journée il avait fini par nous faire tous détester cette campagne que l’on disait « salutaire » pour nous.

Le Ped-o-Jet, un pistolet de vaccination automatique. 1970 (source : Organisation Mondiale de la Santé)
Le Ped-o-Jet, un pistolet de vaccination automatique. 1970 (source : Organisation Mondiale de la Santé)

La réaction était toujours la même chez chacun d’entre nous : deux jours de fièvres et le bras douloureux et engourdi par la piqûre. La vie reprenait après son cours normal, ponctuée par les mêmes maladies infantiles de notre époque : paludisme, rougeole, varicelle, dysenterie, fièvre jaune et la plus redoutable tueuse d’entre elles, l’hépatite A, B ou C ou « sayi », son nom en Bambara, le dialecte local. Elle faisait un ravage, cette sale maladie, mais, à force, on s’en était accoutumé, immunisés pour les plus résistants. Certaines personnes disaient à l’époque que c’était une complication du paludisme là où les grand-mères l’attribuaient à la main maléfique d’un sombre sorcier.

Le plus curieux était la classification chromatique qu’on faisait localement de ses variantes. En effet, en fonction de la coloration des yeux du malade, blanche ou jaune, on pouvait alors évaluer la gravité d’une couleur à l’autre.

Quelques années plus tard, lorsque j’eus suffisamment d’informations pour évaluer à quel point nous étions tous livrés à une effroyable chaine de contamination due à ce pistolet à aiguille unique, je compris alors que je pouvais remercier le ciel d’être parmi les miraculés. On était livré à la mort là où nos parents pensaient nous trouver un moyen de protection. L’hépatite, le tueur silencieux, comme plein d’autres maladies dites péjorativement propre à l’Afrique, devinrent ainsi endémiques par la bénédiction de cette médecine de masse de l’époque.

Les miraculés que nous sommes arborons aujourd’hui une cicatrice anodine à l’épaule, témoin d’une inadvertance qui aurait pu nous emporter tous si la létalité des maladies de l’époque égalait les tristement célèbres VIH et Ebola.

Solo Niaré

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